top of page

MEMOIRE - VIOLLET LE DUC ET EU

Eugène Viollet-le-Duc: théorie et pratique ultimes de la restauration, 1874-1879

 

Septembre 2012-Fevrier 2013

Encadré par Gilles-Antoine Langlois

 

 

Ce mémoire de recherche est rédigé dans le cadre à la fois du Master d’Architecture suivis à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles, ainsi que celui d’un cursus de Master Recherche « Histoire culturelle et sociale de l’architecture et de ses territoires » proposé au sein de l’Université de Versailles-Saint-Quentin. Il a été soutenu par une bourse de la Fondation pour les Monuments Historiques.

 

LECTURE EN LIGNE

ANNEXES 

 

Ce mémoire a été suivis d'un ensemble de conférences et de publications (à voir ici

 

En 2014 sera célébré le bicentenaire de la naissance de Viollet-le-Duc.

 

 

Comme le rappelait Bruno Foucart à propos du centenaire de la mort de l’architecte : « La pratique des anniversaires, commémorations et célébrations, du privé au national, peut quelque fois lasser ; elle a l’avantage de donner des états de situations. Comment Viollet-le-Duc, cent ans après sa mort, réapparaissait-il ? Quel était au vrai ce personnage si divers, si complexe, si talentueux, si présent et si contesté avec lequel le patrimoine n’allait plus cesser de vivre, en mal ou en bien, en guerre ou en paix ? »[1]. Quelle est alors l’image de Viollet-le-Duc aujourd’hui ? Que connaissons-nous de sa vie et de son œuvre, et que reste-t-il de sa pratique ?

 

 

Si en 2014 renaît l’occasion de se pencher une nouvelle fois sur ce personnage, différents évènements, « anniversaires », ont déjà marqué l’histoire de la connaissance de Viollet-le-Duc et ont permis, à travers les années, de multiplier les approches de recherches à son sujet. L’architecte reste un sujet d’étude qui divise et le prétexte à des recherches plus générales sur une époque qui vit naitre la notion du patrimoine et des institutions lui étant consacrées. La quantité de textes dédiés à l’étude de Viollet-le-Duc est impressionnante, et pourtant, certains aspects de l’histoire ou de la carrière de l’architecte restent méconnus.

 

 

Ainsi, il est étonnant de constater que des années de la vie de l’architecte demeurent encore oubliées. C’est le cas de sa dernière décennie, où Viollet-le-Duc apparait le plus souvent comme l’homme fatigué qui se réfugie dans les montagnes pour écrire et étudier le Mont-Blanc. Si sa pratique d’architecte est alors évoquée, c’est en lien avec des premières commandes à l’étranger, à Lausanne en particulier. Et pourtant, à sa mort en septembre 1879, un chantier sur lequel il travaillait depuis cinq ans était encore en cours : une restauration complète, celle du château d’Eu.

 

A la lecture de la « Liste des relevés, restaurations, constructions, mobiliers dus à E. Viollet-le-Duc »[2], on constate rapidement que le nom d’Eu apparaît à la fois en tant que « Restauration » bien sûr, mais également dans la liste du « mobilier religieux », des « vitraux », des « bâtiments et monuments civils », dans les « maisons de gardien et annexes » et enfin dans le « mobilier civil ». En comparaison, le célèbre château de Pierrefonds n’apparaît que dans quatre catégories[3]. Une question se pose alors : pourquoi un chantier visiblement si complet n’apparait-il pratiquement pas dans les recherches qui ont été réalisées sur Viollet-le-Duc que l’on loue pour la diversité de ses approches ? Il y a pourtant matière à la recherche pour des travaux concernant la reprise d’un édifice aussi bien au niveau de sa structure et son organisation, qu’au niveau de son décor, en incluant également l’ensemble du domaine entourant le château.

 

 

En effet, le château conserve en son sein plus de 250 dessins, ainsi que les lettres échangées entre le praticien et son client tout au long du chantier. De plus, l’accès aux archives privées de la famille d’Orléans permet de découvrir sept cartons rassemblant une documentation issue directement de l’agence des travaux : lettres, compte-rendu, devis, ordres de service,… de cinq ans de travaux se mélangent avec quelques documents graphiques, plans techniques, dessins de machines ou coupes, inédits dans les autres fonds. En plus du constat des réalisations de Viollet-le-Duc sur le site, les nombreuses correspondances échangées à ce sujet fournissent de riches informations sur l’organisation au quotidien du dernier chantier sur lequel l’architecte a travaillé. Cela permet en outre de rendre à Viollet-le-Duc sa juste place dans ces travaux qui sont au cœur de sa profession.

 

 

Comme l’a étudié très récemment Arnaud Timbert en s’intéressant aux archives des restaurations de Viollet-le-Duc en Bourgogne : « Il résulte [de l’étude de ces archives] un témoignage particulièrement précieux et méconnu sur le contexte des chantiers de Viollet-le-Duc et révèle une intimité, voire des confidences salutaires […] Il apparaît ainsi un portrait pointilliste de l’architecte, subtil et sans faux-semblant, très éloigné de l’image grossière véhiculée par les passions partisanes qui est celle couramment perçue par le public »[4]. L’étude des travaux de Viollet-le-Duc au château d’Eu sont donc l’occasion de poser un nouveau regard sur le dernier chantier de l’architecte, et de comprendre ainsi sa démarche ultime de la restauration.

 

 

Suite à quarante ans de carrière de restaurateur depuis le « sauvetage de la Madeleine », à quoi donc ont mené ses expériences sur les différents chantiers et le développement de ses théories à travers de nombreux écrits ? « La question, […] n’est pas de savoir si les solutions qui furent adoptées sont ‘’arbitraires’’ ou ‘’discutables’’, la question n’est pas de démêler ‘’le vrai du faux’’, de distinguer ce qui revient au bâtisseur ou au restaurateur, de savoir si Viollet-le-Duc est ‘’un danger public’’ et ses artisans ‘’d’habiles truqueurs’’. La question est de comprendre l’homme et ses méthodes en revenant à l’essentiel : le praticien dans son contexte. Il est ainsi possible d’apprécier le poids des contingences humaines et matérielles et celui des contraintes techniques et administratives sur les choix de l’architecte restaurateur »[5].

 

 

Le praticien dans son contexte, celui du chantier, cœur de tout projet pour un architecte, est en effet une vision qui a parfois été oubliée en ce qui concerne Viollet-le-Duc. L’homme fascine par son parcours, ses dessins et l’image finale des restaurations qu’il réalise, mais l’architecte suivant au quotidien les travaux menés sur les monuments laisse très souvent la place à la figure du maître prêtant à polémique. Le quotidien de nombre des chantiers de Viollet-le-Duc n’a pas encore acquis la place qui lui revient dans les recherches qui lui sont consacrées. A l’aube de la célébration du bicentenaire de la naissance de l’architecte, introduire dorénavant cette part essentielle de sa vie de praticien dans les écrits le concernant est déterminante pour une meilleure compréhension du génie et de la personnalité de Viollet-le-Duc.

 

 

A certains égards, le chantier du château d’Eu, car inachevé à la mort de l’architecte, peut encore paraitre insignifiant comparé à d’autres grands travaux de restauration menés par Viollet-le-Duc, en particulier, la grande étude complète de recherche et d’application qu’il mena toute sa vie sur l’architecture gothique. Rappelons ici que le château d’Eu constitue pourtant pour le maître son dernier chantier, et le moment opportun d’observer l’application de principes développés tout au long d’une carrière de théoricien influencée par son expérience sur les chantiers. Il s’agit de plus, d’un projet complet sur l’ensemble d’un domaine qu’il faut faire revivre comme à ses heures les plus glorieuses qui ne datent que de quelques décennies plus tôt, et enfin, d’interventions multiples sur des dizaines d’édifices, de décors et d’objets à créer ou restituer. Pouvoir suivre l’évolution du chantier du château d’Eu, mais aussi de ses dépendances ou de son équipement c’est comprendre que « même » Viollet-le-Duc, le grand théoricien de la restauration au XIXe siècle, est soumis malgré lui aux demandes particulières d’un client, aux restrictions d’un budget fixe, aux aléas humains et matériels d’une grande opération rassemblant plus de 300 hommes… Les méthodes doivent s’adapter aux contraintes techniques et administratives, les dessins évoluer pour répondre au mieux à des compromis entre un propriétaire et son architecte. Etudier la mise en pratique ultime des théories concernant la restauration monumentale par Eugène Viollet-le-Duc à Eu permet en outre d’offrir un regard supplémentaire sur l’architecte restaurateur-décorateur-créateur-maître de chantier, de compléter la connaissance développée à son propos depuis près de 150 ans.

 

 

Cette petite pierre ajoutée ici à l’édifice que représente pour la postérité le véritable « monument » qu’est Viollet-le-Duc nous invitera à nous pencher d’avantage désormais sur nombre de petits chantiers souvent négligés de l’architecte, nous amenant ainsi à considérer tout autrement Eugène Viollet-le-Duc, deux cents ans déjà après sa naissance.

 

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

 

[1] FOUCART Bruno, « L’exposition Viollet-le-Duc au Grand Palais à Paris », in Viollet-le-Duc à Pierrefonds et dans l’Oise, Colloque sous la direction de Christophe Vallet, président du Centre des monuments Nationaux, juin 2007.

[2] Viollet-Le-Duc : Paris, Galeries nationales du Grand Palais, 19 février-5 mai 1980, Paris : Ed. la Réunion des musées nationaux, 1980, pp. 388-394.

[3] Restaurations / Châteaux et maisons / Maisons de gardien et annexes / Mobilier civil

[4] TIMBERT Arnaud, Restaurer et bâtir, Viollet-le-Duc en Bourgogne, Lille : Presses Universitaires du Septentrion, 2013, p. 16.

[5] TIMBERT Arnaud, Restaurer et bâtir, Viollet-le-Duc en Bourgogne, op.cit., p. 201.

 

bottom of page